On a l’impression qu’au Togo, il y a un gouvernement dans le gouvernement ou deux capitaines dans le même bateau. Le ministre des affaires étrangères Robert Dussey se comporte comme s’il n’y a plus un pilote dans l’avion ?
En tout cas, le ministre des affaires étrangères, Robert Dussey, se comporte en électron libre, rebelle du groupe, si ce n’est en ennemi de l’intérieur qui cherche à saper l’image du Togo et à opposer son Président à des amis sûrs et partenaires de longue date. C’est à peine que le ministre, illuminé, n’appelle pas à la révolution dans des États de la CEDEAO comme la Côte d’Ivoire où il insinue que les dirigeants ne seraient pas en phase avec les aspirations populaires.
Pour le chef de la diplomatie togolaise, l’AES exerce une fascination sur tous les citoyens de la CEDEAO. Après toutes ses déclarations, il ne lui reste plus qu’à annoncer son souhait de voir son pays, le Togo, emboîter le pas aux États de l’AES et se retirer de la CEDEAO. En attendant, il doit savoir, dans ses divagations intellectuelles et errements personnels, qu’il n’est pas autorisé à parler pour les autres pays, encore moins à décider pour eux de leurs choix politiques et de leurs positionnements diplomatiques.
L’on peut bien se demander à quoi joue Robert Dussey, qui a un ton de trivialité inutile et multiplie les prises de position clivantes qui vont à l’encontre de la placidité légendaire de son Président, Faure Gnassingbé, et de la posture modérée, de conciliation et de médiation de tout temps des autorités togolaises.
Dans sa dernière interview, qui entre dans le cadre de sa rébellion ouverte et de sa dissidence assumée, il jette encore un pavé dans la mare en disant, en des termes à peine voilés, que le Togo, qui, rappelons-le, n’est pas un pays sahélien, tape à la porte de l’Association des États du Sahel (AES). Si la décision de rejoindre un ensemble décrié de tous, fondé sur l’orgueil mal placé et un souverainisme de façade, revenait, à l’en croire, au Président, cela nécessiterait une onction parlementaire qui pourrait se faire dans le cadre de la nouvelle République en gestation. La majorité silencieuse, le peuple au nom duquel toutes les bêtises sont dites, n’y verrait pas d’inconvénients.
Au contraire, son cœur bat pour l’AES, à l’instar de celui d’autres : Guinée, Côte d’Ivoire, Bénin… Robert Dussey dispose sans doute de résultats d’instituts spécialisés en sondage d’opinion ou a organisé des référendums partout pour se rendre compte que les peuples des pays cités ou ciblés sont acquis entièrement à la cause de la confédération incolore et inodore des États du Sahel.
Le ministre démagogue, envoyé spécial des juntes, missi dominici des putschistes et mercenaire des dictatures militaires, insulte les Maliens épris de justice, de paix, de démocratie et d’État de droit en considérant que celui qui les en prive, Assimi Goïta, son véritable employeur, est “une chance pour eux”. Lui, qui se fait l’avocat attitré de la souveraineté des États et du respect des identités nationales, de quel droit se prononce-t-il à la place des Maliens et voudrait se mêler de leurs affaires intérieures ?
Robert Dussey est un homme à double visage et d’une extrême sournoiserie : lui qui se dit fier et indépendant n’a pas hésité à courir à l’ambassade de France au Togo le 19 août 2017 pour y demander asile, au moment où l’avenir du régime qu’il continue de servir, plutôt de desservir, était dans la tourmente. Le chef d’État qu’il tente d’isoler et livrer aux procès publics était confronté à l’insécurité des lendemains les plus incertains.
Panafricaniste le jour, aliéné aux puissances jetées en pâture aux opinions publiques la nuit. Les néo-panafricanistes sont tous les mêmes : hypocrites et lâches, donneurs de leçons et manipulateurs. Ils se font passer pour des résistants africains alors qu’ils sont à la merci de l’Occident. Ils affichent une ambition d’émanciper des peuples qu’ils exploitent eux-mêmes pour vivre et exister, prêchant pour leur propre chapelle.
Robert Dussey est de ce lot d’Africains opportunistes et versatiles. Lui, en particulier, prône les coups d’État dont il s’est engagé à célébrer les auteurs. Il n’en est pas à son premier galop d’essai. Lors du Forum sur la sécurité et la paix à Doha, l’assistance l’avait méprisé dans son rôle improvisé de porte-voix des putschistes, consistant à expliquer et justifier les coups d’État, voire à les encourager et les bénir, en tant que pasteur converti en allié inconditionnel du diable.
Peut-être souhaite-t-il que son Président, qu’il a déjà abandonné dans l’épreuve, soit renversé à son tour pour que le Togo rejoigne le peloton des États pris en otage par des groupuscules de militaires, qui ont toujours besoin d’hommes de paille, sans foi ni loi comme lui.
Ce qui paraît d’autant plus troublant, c’est de voir le Président Faure Gnassingbé, un homme d’une grande prudence et reconnu pour sa mesure, s’accommoder d’un ministre dont la légèreté et le manque de sérieux sont unanimement critiqués en privé par des observateurs avertis et certains chefs d’État.
Laisser son ministre des affaires étrangères, devenu excentrique, impudique et insupportable de tous, scier la branche sur laquelle il est assis, s’échiner à détruire l’image du Togo et sa réputation d’homme de mesure et de consensus, n’est pas de bon aloi. Jusqu’à quand va durer la récréation ? Le ministre pourra-t-il abuser de la patience et de la bienveillance de son Président, dont le génie a toujours été de décider de ce qu’il veut, de là où il va, sans passions ni faire de vagues ? Il a toujours su manier à son profit et dans l’intérêt de son pays l’art consommé de ménager la chèvre et le chou.
Dussey est un ministre nu et nul. On attend de voir si Faure le rappellera ou non à l’ordre pour comprendre si le ministre est en mission ou fait du sabotage. Robert Dussey doit se rappeler de la célèbre expression de Jean-Pierre Chevènement et en faire sienne : “Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne.”
Samir Moussa