La cascade d’arrestations qui secoue les forces armées nigeriennes, ces dernières heures, assimilées à une purge sauvage, procède d’un plan diabolique et prémédité de neutralisation forcée d’officiers considérés comme génants et menaçants. Une cabale savamment mûrie et froidement executée par un cercle restreint autour du Général Abderrahmane Tiani. Au bout du compte, l’objectif est de s’assurer que l’Armee sera à la dévotion totale du chef de la junte. C’est pourquoi, on n’y va pas du dos de la cuillère pendant les opérations: les interpellations sont musclées, se font dans la brutalité avec l’intention d’humilier et rabaisser, sans aucun respect pour l’uniforme et l’honneur de l’institution militaire.
Depuis des mois, dans l’entourage proche du Général Tiani, l’on cogite et mène des investigations afin d’arriver dans l’armée à séparer la bonne graine de l’ivraie c’est-à-dire extraire des rangs tous les officiers dont la loyauté prête à équivoque et souffre de doutes.
La » brigade » spéciale qui a ouvert la chasse à l’homme au sein des forces de défense et de sécurité nigeriennes émane du premier cercle du Général Tiani et est composée d’individus très influents dans la sphère de décisions et placés au cœur du régime.
Dans cette équipe de l’ombre qui tire toutes les ficelles et opère dans le plus grand secret, on retrouve, notamment:
– Le colonel Balla Alarebe, directeur général de la documentation et de la sécurité extérieure ( DGDSE), en première ligne dans la campagne d’épuration,
– Le lieutenant-colonel Habibou Assoumane commandant de la garde présidentielle, ange gardien de Tiani, accessoirement, superviseur des arrestations,
– Le chef d’Etat major particulier, le colonel Ibroh Amadou Bachourou, homme de main de Tiani et de Mahamadou Issoufou, aussi,
– Le colonel Maïdagi aide de camp de Tiani
– Hassan Nouhou (Benco Trading), homme d’affaires, le Bonkano de Tiani ou encore le Raspoutine du Niger, en raison de tous les mauvais rôles qui lui sont attribués dans son statut officieux de génie malfaisant, d’intrigant du palais, d’éminence grise, derrière des choix controversés et des décisions impopulaires au sommet de l’Etat.
– Deux Zimas( charlatans) sont également mis en cause. Se prevalant de pouvoirs mystiques, ils font office de gourous de Tiani dont ils seraient devenus la tête pensante, les yeux et les oreilles, surtout le filtre pour distinguer les collaborateurs loyaux des traîtres en puissance ou en gestation. Ils jouent ainsi le rôle de protecteur et de dernier rempart de Tiani et de son régime liquefiés.
Pour le moment, c’est la liste de la task force de la junte qui a statué sur la loyauté des uns et des autres avant de déterminer les cibles à abattre dans les différents corps: Armée, Gendarmerie, Garde nationale. Le schéma des arrestations a été élaboré en même temps que la liste des personnes en charge des interpellations, triées sur le volet.Tout a été fait, de bout en bout, en fonction, uniquement, de la proximité avec Tiani et de la loyauté envers lui, à toute épreuve.
D’autres piliers de la junte sont mis à l’écart, à cause de certains soupçons qui pèseraient plus ou moins sur chacun d’entre eux, à savoir:
– Le ministre de la Défense, Salifou Modi qui est l’un des artisans du coup d’Etat qui a porté le Général Tiani au pouvoir. En dépit de cela, les relations du ministre et du chef de la junte restent mitigées car Salifou Modi est soupçonné par Tiani d’avoir des ambitions démesurées. Par le passé déjà, les deux hommes semblaient se détester cordialement. Le chef de l’Etat nigerien paraît garder cela au travers de la gorge et rumine encore sa vieille rancune, loin de se dissiper.
– Le chef d’Etat major général des armées, Moussa Salaou Bamou, qui doit son poste au Général Tiani himself. Aujourd’hui, il est surveillé comme du lait sur le feu. Il s’était rallié, au coup d’Etat, matinalement. Mais, il n’a pas réussi, totalement, sa reconversion, car il n’est toujours pas associé à la gestion du pouvoir, sans doute, parce qu’il n’inspire pas confiance aux dirigeants. Ne serait-il pas fiable?
Ses fonctions importantes et stratégiques à la tête des forces armées sans compter son passé de commandant des forces spéciales alimentent la méfiance de Tiani et de ses proches.
En réalité, aucun des ténors de la junte n’est impliqué dans la purge déclenchée au sein des forces de défense et de sécurité, car, toutes les têtes fortes du régime qui viennent de la grande muette, sont, à priori, suspectes et courent le risque d’être inquiété. Cette politique d’exclusion et de marginalisation s’explique par des tensions au sommet de l’Etat, par la suspicion et la méfiance qui règnent aussi entre les compagnons du coup d’Etat, se disputant, dans une guerre larvée, l’exercice et le contrôle du pouvoir.
Apparemment, c’est désormais comme dans une jungle où c’est la loi du plus fort, les loups mangent les agneaux. Il n’y a pas eu la moindre humanité ni élegance encore moins des civilités lors des arrestations. Entre 2h et 3h du matin, des équipes d’environ 40 soldats, lourdement armés, sous la houlette de la garde présidentielle, ont quadrillé les domiciles des officiers repertoriés et ciblés. Les escadrons, armés de mitraillettes lourdes de calibre 12.7 et de grenades incapacitantes, se sont introduits dans les différentes propriétés en escaladant les murs, brisant les portails, dans certains cas, en fracassant les portes pour pénétrer à l’intérieur des résidences.
Les officiers, surpris dans leur sommeil, ont été violemment soustraits de leurs lits, habillés, seulement, de leurs pyjamas, parfois, en sous-vêtements, sous les yeux hagards et le regard vide de leurs familles terrorisées. Ils ont été menottés, encagoulés, et plaqués au sol sous la menace d’armes automatiques pointées sur eux. Des témoins rapportent que les enfants se sont reveillés, en pleurs, pour assister à l’humiliation et à la maltraitance de leurs pères. Quant aux épouses, petrifiées, elles ont été tenues au respect par des armes de guerre.
Les téléphones portables des officiers, ont été confisqués, séance tenante. Lors des interrogatoires, ils ont été consultés, afin d’accéder aux contenus des messages, à l’historique des appels, aux données GPS, à la galerie des images et vidéos, en violation, du secret de la correspondance et de l’intimité de la vie privée. Tout cela, en dehors de toute procédure judiciaire et d »un cadre légal.
Le Lundi 20 janvier 2025, au moment où les officiers appréhendés étaient soumis au feu roulant des interrogatoires, une réunion d’urgence a été convoquée à l’état major. La rencontre a donné lieu à des échanges houleux, à de chaudes empoignades qui ont révélé un climat de grogne et de désenchantement dans l’armée, à cause des méthodes employées par Tiani et sa garde pretorienne. Nonobstant, l’atmosphère de terreur et les risques de représailles, les langues se sont deliées. Quelques-uns, excedés par la situation, n’ont pas manqué de dénoncer et reprouver le harcèlement et la séquestration des frères d’armes. Il a été relevé le caractère discriminatoire et sélectif des arrestations qui ne concernent et visent que des officiers originaires de l’ouest du Niger.
Une prise de position trés tranchée qui témoigne des clivages communautaires et des manipulations politiques entretenus dans l’institution militaire qui expliquent dans une large mesure la suspicion et la répression parfois en son sein.
Le Général Abderrahmane Tiani, s’est, finalement, résolu, hier soir, mardi 21 janvier 2025, à ordonner la libération des officiers interpellés compte tenu de la fièvre qui commençait à monter et de la levée de bouclier à laquelle il commençait à faire face.
Il n’a pas résisté à la pression et a voulu se prémunir d’une mutinerie.
Si la mesure vise l’apaisement et est destinée à éviter la confrontation, elle ne suffit pas à rassurer, à rétablir la confiance et la sérénité dans les rangs. L’arbre ne doit pas cacher la forêt. Les foyers de tensions demeurent, incandescents.
Le chef d’état major général des armées reste introuvable. Si de sources concordantes et fiables, il n’est pas arrêté, il est porté disparu, en revanche. Personne n’arrive à le localiser et ne sait où il se trouve à l’heure actuelle. On ne le voit pas, ne l’entend pas. Une situation troublante qui soulève des interrogations, d’autant que ni lui, ni son adjoint, n’était présent à Agadez le 21 janvier 2025 pour présidér la cérémonie marquant le passage de témoin à la tête de la zone de défense numéro 2. De quoi relancer le débat sur l’état des relations entre les figures marquantes de la junte au pouvoir.
Avant d’être libérés sous la pression, les officiers arrêtés ont subi des interrogatoires comme on le sait. Les questions ont porté, essentiellement, sur d’éventuels contacts ou la collusion avec des officiers militaires qui ont préféré prendre le chemin de l’exil que de cautionner le coup d’Etat, en tant que soldats assermentés, républicains et legalistes. Dans le front du refus, on compte le Général Mahamadou Abou Tarka, ancien Président de la Haute autorité de la consolidation de la paix, le Général Karingama Wali Ibrahim, ex chef de la garde présidentielle, le colonel Gazobi Souleyman, aide de camp du Président renversé, Mohamed Bazoum, le colonel Seydina Mamane, commandant de la zone 7.
Malgré le dur traitement auquel ils ont été soumis, toutes les menaces et intimidations endurées, les officiers arrêtés ont tenu bon. Ils ont résisté à accuser à tort et à accabler, inutilement, des innocents. Aucune figure en exil n’a été incriminée ni compromise. Les téléphones saisis n’ont révélé non plus rien qui établit un lien de complicité avec les mis en cause ou des actions subversives des accusés.
Une véritable tempête dans un verre d’eau. Tout ça pour ça. Jamais dans l’histoire du niger, dans les annales de l’armée nigerienne, les officiers du pays n’ont été autant traînés dans la boue, atteints dans leur intégrité, bafoués dans leur honneur. Toute l’armée nationale a été insultée, souillée et interpellée. Elle ne doit s’accommoder de pratiques dégradantes ni se résigner à la servitude.
Le colonel-major, Seydou Sanda annonce les couleurs. L’officier, qui tient aux principes d’honneur et de discipline militaire, a souvent plaidé pour une armée vertueuse et respectueuse de ses hommes. C’est ainsi qu’il a déclaré : « L’honneur d’un officier n’est pas seulement dans son uniforme mais dans la dignité avec laquelle il sert sa nation. L’humilier, c’est humilier l’ensemble de l’institution qu’il représente « .
Des propos qui résonnent dans le contexte d’aujourd’hui comme un cri de ralliement pour sauver l’institution militaire, déshonorée, bien au-delà , le Niger, à la croisée des chemins.
Quand le militaire nigerien veut, il peut. L’on vient d’en avoir la démonstration avec la libération des officiers interpellés après que le ton est monté et la révolte couve.
L’élan de protestation et de résistance doit s’amplifier et gagner en intensité pour que dans le sursaut qui suivra, les forces armées nigeriennes se libèrent du joug qui les écrase et plombe le Niger dans son ensemble.
Une Armée, digne de ce nom ne peut se sacrifier et sacrifier la patrie pour un homme et sa cause.
Samir Moussa