Pauvres journalistes, unissons-nous !
Les journalistes guinéens, qu’aucun régime n’avait osé anéantir ni frappé en plein cœur, se retrouvent à la merci du CNRD, aujourd’hui, sans défense ni recours. Il est arrivé parfois dans le passé que certains d’entre-nous soient inquiétés, que nos organes soient menacés, mais, jamais auparavant la liberté d’expression n’avait été autant malmenée, les entreprises de presse n’ont été aussi près de mettre la clé sous le paillasson. On n’est passés d’antennes et d’ondes brouillées , systématiquement, à la mesure radicale et aveugle de retirer des agréments et de supprimer des fréquences, sans crier gare. Un démantèlement méthodique mais mal pensé de l’arsenal médiatique du pays qui touche aux supports les plus représentatifs et puissants du moment. Le porte-parole du Gouvernement, dans un communiqué qu’il a signé et traînera comme un boulet a assumé qu’il n’y aura pas, comprend qui pourra, de « démocratie médiatique », à la suite du coup de force opéré et pendant qu’on vit à l’heure d’un retour impossible à l’ordre constitutionnel. Ousmane Gaoual Diallo dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, c’est-à-dire qu’on ne peut parler de droit et de liberté pour personne après un coup d’Etat qui ne fut pas sans effusion de sang, qui a mis fin à un régime constitutionnel régulièrement établi, déposé un président élu, dans la passiveté absolue et l’indifférence générale. A partir de là, chacun devrait comprendre de lui-même que la raison du plus fort est désormais la meilleure et que tout passera aussi par l’épreuve de force dans une logique de confrontation permanente. Les forts survivront, les faibles périront. C’est ainsi quand c’est la loi du plus fort qui restera en vigueur aussi longtemps que quelqu’un d’autre ne se sera pas montré plus fort encore, suivant l’adage populaire « c’est le fer qui coupe le fer ». D’ici là, on brandit la Loi quand on veut et pour punir, l’oublie quand ça arrange feignant d’ignorer qu’on en est sorti depuis qu’il a été prononcé la dissolution des institutions au moment d’entrer dans le régime d’exception caractérisé par un ordre dur peu respectueux des droits inaliénables et des libertés publiques, individuelles et collectives.
En attendant, la presse qui était considérée comme un des maillons forts du système démocratique, pour l’instant, entre parenthèses, était jugée jusqu’ici intouchable, en tant que dernier rempart pour les droits et les libertés, est, à son tour, ébranlée dans ses fondements et ses sacrements. S’il n’y a pas de solidarité des autres corps avec elle, ni mobilisation populaire pour sa cause, ses jours sont comptés dans son agonie, du moment. Elle a une influence certaine mais ne dispose d’aucune force, toute seule, pour faire plier un pouvoir résolu à la reduire au silence et à l’impuissance. Elle est, tout simplement, menacée de disparition imminente. Son avenir est suspendu à un sursaut et au soutien de toutes les bonnes volontés et démocrates du pays. Elle y a pourtant cru en saluant le coup d’Etat dont elle a contribué au succès en l’expliquant et le justifiant avec un certain zèle. A ce moment-là, elle était loin de se douter qu’elle en serait l’une de ses illustres victimes après d’autres qui n’ont pas été menagés par les autorités de fait encore moins n’ont pu bénéficier de la compassion de journalistes pour la plupart déchaînés, acharnés à en finir avec les « anciens », fascinés par les « nouveaux ».
Est-ce pour autant qu’il faille les abandonner à leur triste sort et ne pas s’indigner de leurs malheurs ?
Il faut plutôt apprendre de leurs erreurs. Car c’est parce qu’ils considéraient que le coup d’Etat ne les concernait pas dirigé contre d’autres qu’ils ont pactisé pour beaucoup d’entre-eux avec le CNRD. Ils voient bien maintenant que c’est à chacun son tour de subir le changement forcé et brutal à la tête du pays et le bouleversement politique qui a remis en cause l’ordre constitutionnel et les acquis démocratiques. Les sorts des citoyens étant liés, nul ne doit rester indifférent aux injustices et exactions endurées par tout compatriote ou acteur de la vie nationale. Personne ne doit se poser la question si la presse a tort ou raison, si les journalistes récoltent pour quelques-uns ce qu’ils ont semé, chacun doit plutôt se joindre à leur combat qui est celui de la liberté et de la survie pour tous, celui de la réhabilitation du pays où vivre dans la liberté et la sécurité est maintenant un privilège réservé à une caste et à une certaine oligarchie au pouvoir.
« Je suis journaliste, je ne me tairai pas et j’ai le droit d’exercer et vivre « , devrait être le message de ralliement qui devrait nous aider à dépasser les rancœurs et lâchetés qui nous divisent et affaiblissent. Les torts étant partagés dans notre naufrage, il nous incombe de faire recours à notre foi patriotique et à nos convictions démocratiques afin de retrouver les chemins du salut pour tous, de remettre aussi le pays sur les rails.
Aucun d’entre nous ne s’en sortira seul.
Habib Marouane Camara, éditorialiste.